Fonctionnement du système (Freesette)

De CRPE

L'orthographe du français

Parler du système graphique français, c'est aborder les problèmes de l'écriture du français.

Différents types d'écriture

  • le système pictographique : permet d'exprimer des idées au moyen de scènes figurées ou symboliques. Ex : code de la route.
  • le système idéographique : le signe graphique représente un mot de la langue. Système adopté par le chinois. Signes très nombreux.

Dans ces deux cas, il n'y a pas de passage par des signes linguistiques.

  • le système phonographique et alphabétique : avec un nombre limité de signes, il y a des possibilités infinies de faire des mots.

Le système alphabétique n'est pas "meilleur", mais est un système efficace et économique.

Où sont les difficultés

L'écriture phonographique idéale serait qu'à un phonème corresponde un graphème = qu'un son s'écrive toujours de la même façon. Il y aurait alors "bi-univocité". Quelques systèmes alphabétiques se rapprochent de cet idéal : finnois, serbo-croate, italien, espagnol. On dit que ces langues ont une orthographe transparente.

D'autres s'en éloignent fortement : anglais, français. Elles ont alors une orthographe dite opaque. On comprend mieux pourquoi l'orthographe constitue un réel problème d'enseignement en France.

Provenances des difficultés : de l'origine latine. Le latin était pauvre en graphème (23 seulement ; 21 en fait car le z et le y sont venus du grec), mais son alphabet correspondait au nombre relativement réduit de phonèmes. Le déficit en graphèmes est le problème de toutes les langues écrites avec l'alphabet latin mais la plupart ont su construire un système cohérent. Les solutions françaises ont été moins efficaces.

Evolution

Des améliorations ont été apportées au cours des siècles :

  • Introduction de lettres : le "j" est introduit à la Renaissance. Le "w" apparaît au début du XXème s., mais c'est une lettre improductive dans la mesure où elle se contente de doubler le "v" dans les mots français.
  • Différenciation du "v" et du "u" qui correspondaient à des variations graphiques de la même lettre latine.
  • Création de signes diacritiques : les accents. A partir du XVIème s. apparaissent les 3 accents, la cédille et le tréma grâce aux imprimeurs qui comptent lever les ambiguïtés.
  • Combinaison de graphèmes : création de digrammes qui rendent le système plus opératoire. Aux graphèmes simples (u, a, o, m, t, r, ...), s'ajoutent les digrammes : ou, eu, an, on, un, in, gn, ch.
     Digramme : groupe de deux lettres servant à transcrire un phonème. Chaque 
     lettre prise séparément ayant perdu sa valeur habituelle.

Quelques problèmes cependant :

  • des mots comme "tohu-bohu", "cohue" : le "h" évite la rencontre du "o" et du "u" qui ferait [u]. Même problème avec "ébahi". On dit que le "h" a une valeur anticoagulante. Le tréma a la même fonction dans "haïr".
  • la création des digrammes n'a pas évité des doublons inutiles : en/an ai/ei.
  • le cas de "oi", seul digramme à traduire un groupe phonique [wa].
  • on parle aussi de trigramme dans le cas de "ill" qui transcrit un seul phonème [j] de feuillage.

Il y a d'autres trigrammes : "ain", "eau"... Pour le concours, on reste sur la définition qu'un digramme est un ensemble de deux lettres et un trigramme, un ensemble de 3 lettres.

   Le graphème : à ne pas confondre avec la lettre. Le graphème peut être une
   lettre mais aussi un groupe de lettres, une lettre accentuée ou pourvue d'un signe 
   auxiliaire. Les notions de lettre et de graphème ne se superposent donc pas.

Le plurisystème graphique français

Description du système linguistique faite par Nina Catach (Historienne, linguiste, CNRS) : le système graphique est complexe, mais régulier et cohérent, structuré et pluriel. Voilà pourquoi elle parle de plurisystème.

La langue fonctionne avec 3 systèmes :

  • le système phonogrammique selon lequel les unités de l'écrit notent les unités de l'oral.
  • le système morphogrammique selon lequel les unités de l'écrit donnent des informations grammaticales et lexicales.
  • le système logogrammique selon lequel les unités de l'écrit permettent de distinguer les mots homophones.

A chaque systèmes, ses graphèmes : les phonogrammes / morphogrammes / logogrammes.


Le système phonogrammique

Une large partie des graphèmes sont chargées de transcrire les phonèmes. La langue française est à 85% phonogrammique = elle code l'oral. 85% des graphèmes sont donc des phonogrammes = ils transcrivent des sons.

  • "Papa" : 4 graphèmes p/a/p/a qui codent très exactement 4 phonèmes [papa]. Ces 4 graphèmes son bien des phonogrammes.
  • "Cafés" : 5 graphèmes c/a/f/é/s. Le dernier graphème n'est pas prononcé. Ce n'est donc pas un phonogramme.

Le système morphogrammique

Le "s" du pluriel de "cafés" est un morphogramme, il ajoute une information autre que celle relative au son. Il annonce le pluriel. Tous les mots qui appartiennent à la classe des noms, des adjectifs, des pronoms, des verbes obéissent à des règles d'accord qui concernent le nombre, le genre, les variations de personnes, les désinences pour les verbes... Ces mots ont en finale un ou plusieurs graphèmes qui ne sont pas audibles et qui donnent pourtant une information grammaticale.

On différencie :

  • les morphogrammes grammaticaux : ils sont porteurs d'une signification morphosyntaxique (marque du nombre, désinence, personne...).
  • les morphogrammes lexicaux : ils sont porteurs d'une signification lexicale qui établit un lien visuel entre les radicaux et les dérivés. Ex. : dans "rang", le "g" ne se prononce pas, il renseigne sur la famille : ranger/rangement.

Le système n'est pas rigoureux : on trouve des séries hors norme tabac/tabagie/tabatière... Mais ces séries sont très peu nombreuses et il vaut mieux, pédagogiquement, focaliser son attention sur les régularités.

Le système logogrammique

Système qui permet de distinguer graphiquement les homophones. Le mot thym se différencie nettement de teint ou tain. La graphie même renvoie à une réalité différente.

Les graphèmes distinctifs :

  • parfois des lettres étymologiques ou historiques récupérées à des fins distinctives ;
  • des accents : a/à, ou/où ;
  • des variantes graphiques : tente/tante ; encre/ancre ; repère/repaire ;
  • certains morphogrammes lexicaux ont aussi une valeur logogrammique : le "d" de bond renvoie à la famille de bondir mais sert aussi à opposer les mots bond/bon.

Comme pour les morphogrammes, on distingue :

  • les logogrammes lexicaux qui renvoient à des oppositions affectant le lexique : bon/bond, repère/repaire.
  • les logogrammes grammaticaux : sont/son,a/à, et/est, ou/où.

Media: Récapitualif lexique-discours.jpg


Il faut ajouter à ce que nous venons d'étudier le domaine extra-alphabétique constitué par des éléments très divers allant de la ponctuation à la mise en page, les blancs graphiques, les symboles, les chiffres qui sont autant d'idéogrammes (expression de Nina Catach) car leur fonction n'est jamais de transcrire un phonème. Ce domaine donne des indications très précieuses aux élèves :

  • leur fonction et leur valeur sont vite repérées par les enfants, même très jeunes ;
  • ils mettent nettement en évidence la dimension idéographique de notre système ;
  • leur présence est essentielle à un bon fonctionnement textuel : leur absence peut constituer une gêne sensible pour la compréhension.

La valeur des lettres

La complexité du système graphique fait que la plupart des lettres de l'alphabet peuvent présenter chacune des cinq valeurs suivantes, selon le rôle que joue la lettre lors de la lecture, au moment du passage de l'écrit à l'oral : valeur de base, de position, auxiliaire, zéro. Elle peut enfin être incluse dans un digramme.

Valeur de base

Toutes les lettres ont une valeur de base. C'est la manière la plus fréquente de lire la lettre. Plusieurs graphèmes peuvent avoir la même valeur de base :

  • "v" et "w" ont la même valeur [v]
  • "i" et "y" : [i]
  • "c", "k", "q (u)" : [k]

Pourquoi dire que la valeur de "c" est [k] plutôt que [s] ? Parce que "c" ne se prononce [s] que devant le "e" et le "i", alors que sa valeur [k] est possible dans toutes les autres distributions. L'écriture idéale serait fondée sur le rapport biunivoque de la lettre et du son et ne comporterait que des valeurs de base ; seuls les graphèmes "jeunes" du français, le "j" et le "v", répondent à cet idéal d'univocité. Ils représentent toujours les phonèmes [ʒ] et [v]. Ils ne connaissent aucune autre valeur, pas même la valeur zéro.

Seuls 21 phonèmes sur 36 sont représentés par une valeur de base, les autres correspondent à des valeurs de position et à des digrammes.

Valeur de position

C'est la valeur prise dans certaines positions, dans certains environnements. Elle est conditionnée par la position du groupe dans la chaîne graphique. "s" a la valeur de position [z], dans vase, poison... car il se trouve placé entre deux voyelles - à l'intervocalique.

Les valeurs de position de certains graphèmes se recoupent ou recoupent la valeur de base d'autres graphèmes : "c" (dans cinéma) et "t" (dans opération) ont la même valeur de position [s] qui est en fait la valeur de base de "s".

Valeur auxiliaire

  • le "u" de guérir influe sur la prononciation d'un groupe voisin. La valeur de base de "g" est [g] comme dans gare. "g" prend la valeur de position [ʒ] devant le "e" et le "i". Les lettres auxiliaires peuvent modifier le système : le "u" n'est pas prononcé dans "guérir" et "guide" mais redonne au "g" sa valeur de base [g], mais le "e" dans "nous mangeons" ou "geai" lui rend sa valeur de position [ʒ].
  • La valeur auxiliaire de "e" est importante car le graphème permet l'articulation des consonnes finales, en particulier au féminin. Dans "petit/petite", le "e" final est muet, mais sa présence oblige à prononcer le "t" qui n'est pas prononcé dans l'adjectif masculin.
  • Il y a aussi la valeur auxiliaire des consonnes finales qui donnent au "e" sa valeur de position : "pied". C'est le "d" qui modifie la valeur du mot et le fait prononcer [e]. Le "d" a donc une valeur auxiliaire.
  • Rôle anti-coagulant de "e" et du "h" : contraint / contraient.
  • Dans certains cas, un graphème pourvu d'une valeur de base peut aussi avoir une valeur auxiliaire, notamment en consonne finale : bec, le "c" final est prononcé [k], conformément à sa valeur de base mais par sa présence, il permet au "e" qui précède d'être prononcé (e).

Valeur zéro

Un graphème a une valeur zéro lorsqu'il ne joue aucun rôle du point de vue phonographique. Lettre muette dont la suppression ne modifie pas l'oralisation. Généralement placée en fin de syllabe ou en fin de mot mais on peut la trouver en toute position :

  • à l'initiale : scinder, histoire, homme...
  • en fin de syllabe ou fin de mot : dévouement, doigt, instinct...
  • à l'intérieur : faon, paon...

Aucune justification n'est possible par l'analyse phonographique ; ces graphèmes apportent des informations au niveau du sens (idéographie).

Les digrammes

En plus de ces différentes valeurs, un graphème peut entrer en liaison avec un autre graphème pour créer un digramme. Ils permettent de compenser la pénurie en graphèmes mais comme ils sont plus nombreux que les phonèmes à reproduire, on a quelques doublets et certains recoupent parfois la valeur de quelques graphèmes simples. Ils peuvent présenter comme les graphèmes simples une valeur de base et une de position.


Media: Tableau récapitulatif des valeurs.pdf