Langage oral : normes et variations (Freesette)

De CRPE

La notion de norme

La norme prescriptive : ça se dit ? Ca se dit pas ?

Historique :
La langue française sous sa forme classique s'est constituée au début du XVIème s. et n'a cessé de se modifier. La langue est ressentie comme un système stable par les interlocuteurs, mais elle ne cesse de se diversifier (dialectes, registres sociaux, professionnels...), d'évoluer dans le temps, de s'adapter sur le plan synchronique aux différents contextes d'utilisation.
Le XVIIème s. a joué un rôle essentiel pour l'établissement de normes qu'on peut appeler prescriptives, d'abord avec Malherbe puis Vaugelas. La pléïade avait voulu enrichir la langue, Malherbe tenta de l'épurer. Il condamna les provincialismes, les archaïsmes, les mots techniques, les mots composés et dérivés, les mots bas... Mais c'est Vaugelas qui a exercé la plus forte pression.

Dans "Remarques sur la langue française utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire" publié en 1647, Vaugelas pose des principes :

  • Affirmation de la primauté de l'oral sur l'écrit ;
  • Affirmation du changement ;
  • Idée que la langue n'est pas fondée sur la raison ou la logique : il s'oppose à ces prédecesseurs, qui dans une perspective philosophique, voyaient dans l'ordre des mots un reflet de l'ordre des choses.
  • Concept d'usage. Il ne s'agit pas d'épurer, mais d'enregistrer. Il s'agit de s'appuyer sur l'usage strictement contemporain.


Mais de cette idée d'usage, Vaugelas glisse vers celle de "bon usage". Il choisit entre tous les usages celui qu'il convient d'adopter, celui de la cour et d'une élite très minoritaire. Cette définition n'a aucun fondement linguistique, elle est d'ordre politique et culturel et elle pèsera sur la représentation de la langue pendant des siècles. L'idée se forme qu'il y a des façons de parler mieux que d'autres et que le grammairien se doit de les décrire : la grammaire devient ainsi presciptive et normative et c'est la norme qui modèle l'usage.

Jusqu'à la révolution, le processus d'unification linguistique est lié au processus de construction de l'Etat monarchique. La bourgeoisie des affaires arrive au pouvoir après la révolution. Elle adopte une politique linguistique visant à imposer à tous une langue simple, non marquée socialement et très codifiée = tentative d'unification du pays. Parallèlement, cette même bourgeoisie réaffirme la valeur du français littéraire du XVIIème s. : s'institue alors une seconde norme, fondée sur le "bon goût" et le raffinement.


Qui produit les normes ?

  • le pouvoir, Etat ou institutions (Académie française) qui combattent la diversité des pratiques au nom d'un impératif démocratique et centralisateur.
  • des élites souvent proches du pouvoir.
  • les grands producteurs de normes sont les professionnels de la langue : grammairiens ; lexicographes et auteurs de dictionnaires ; professionnels de la rédaction et de la communication ; concepteurs de manuels ; de jeux éducatifs et de jeux de langage... et aussi les enseignants.


Sont-elles fixées une fois pour toute ?

  • Non, elles ont un caractère relatif et varient avec le temps.
  • Suivant les "marchés linguistiques" (Bourdieu), ces normes varieront. Mais plus le marché est officiel, plus la norme est celle des dominants.


Qui les véhicule ?

  • essentiellement l'école qui, historiquement, a tendu à uniformiser les usages linguistiques et les diversités régionales et sociales.
  • les différentes institutions et administrations dont les usagers doivent connaître la langue.
  • les médias, la presse, tous ceux qui produisent des livres et qui offrent des modèles prégnants.


A qui s'adressent ces normes ?
En principe à tous.

La norme d'usage : que dit-on ?

A la norme prescriptive s'oppose la norme d'usage. On remarque par ex. que le mot pachyderme est prononcé avec un son [ʃ] par certain et le son [k] par d'autres.
Il n'y a pas une entité homogène qui corresponde à LA langue. La langue est un ensemble de variétés.

La variation linguistique

Les chercheurs qui étudient les productions linguistiques s'accordent à reconnaître qu'au sein de toute communauté linguistique, il existe de multiples variétés parmi lesquelles on peut distinguer :

Des variétés géographiques (variations dialectales)

Le français parlé à Liège, Paris, Rennes ou Marseille diffère par l'accent, la prononciation de certains phonèmes, la morphosyntaxe et le lexique.

Des variétés sociales (variations sociolectales)

Elles sont liées au milieu socio-culturel. Les individus ne parlent pas de la même façon suivant leur classe sociale et des études systématiques ont affiné ces constatations. Certaines variations sociales sont liées aux pratiques sociales spécifiques dans lesquelles sont engagés les participants à l'acte de parole : un enseignant ne parle pas exactement la même langue avec 1 collègue, un étudiant, en cours magistral, en TD... L'analyse de la variation des formes linguistiques en fonction des facteurs sociaux est appelée analyse variationniste (Cf. Labov).

Des variétés individuelles (variations idiolectales)

Chacun a sa manière de parler : éléments dans les normes de divers groupes selon des caractéristiques physiologiques, un ancrage régional, une appartenance socioprofessionnelle, une histoire personnelle... C'est ainsi qu'on pose son identité.

Des variétés diachroniques (variations historiques)

Une langue est en perpétuel mouvement. Elle évolue phonétiquement. Le lexique est l'élément le plus sujet à des variations.

Niveaux et registres de langue

Ces deux termes sont souvent utilisés indifféremment. Après Labov et Galisson, on peut tenter d'établir une différence entre les deux.

Le registre

Serait la manière d'utiliser la langue en fonction d'une situation de communication donnée.

Le niveau de langue

Désigne l'ensemble des habitudes de langage d'une personne, habitudes qui sont déterminées plus ou moins par son appartenance sociale et son degré de culture et à l'image qu'il veut donner de lui-même.
Un locuteur qui a un bon niveau a plusieurs registres à sa disposition : il est en sécurité linguistique car il peut s'adapter à plusieurs situations.
Au XVI7me s., les registres suivaient plus ou moins près la division en couches sociales. Cette corrélation se maintient aujourd'hui, mais les différences de classe vont en s'atténuant car le marché du travail et l'éducation ont changé, la mobilité sociale est plus grande et surtout le français standard s'est développé grâce aux mass média.

Les classifications sont nombreuses, généralement à connotations morales :

  • la langue familière : souvent de l'ordre de l'expression spontanée.
  • la langue courante : emploie un lexique plus usuel et rejoint la norme statistique.
  • la langue soutenue : lexique plus rare, plus précis et d'une syntaxe plus soignée.

On peut trouver d'autres formes en amont et en aval. La langue littéraire sera une forme plus élaborée du message. La langue populaire fait primer la communication et ne respecte pas les prescriptions de la norme. Il existe aussi des langues cryptées telles que l'argot.

Mais les classifications sont incertaines.

Quelle position de l'école face aux normes, variations et registres ?

L'école est un vecteur de la norme.

Ce qu'il faudrait éviter de faire

Avoir une attitude hyper normative et puriste en se dotant de modèles de références uniques ("les bons auteurs" par exemple), se référer aux grandes autorités en la matière ("le bon usage" de Grévisse notamment), sanctionner toutes les productions jugées "déviantes", ce qui reviendrait à condamner et à nier la plupart du temps la langue parlée à la maison.

Il vaudrait mieux

  • présenter la norme pour ce qu'elle est, fondamentalement : en respectant les règles du code, qui se fonde sur les règles d'usage du plus grand nombre, on favorise la communication. Mais il ne faut pas renoncer à apprendre aux élèves à maîtriser les standards dominants : esprit d'égalisation des chances.
  • travailler sur la variété et la concevoir comme un phénomène important linguistiquement et socialement. Ne pas hiérarchiser les registres de langue.
  • développer une programmation pour multiplier les registres en faisant varier les situations dans lesquelles sont placés les locuteurs et faire accéder le plus grand nombre d'élèves à la maîtrise des différents genres discursifs (narration, argumentation, explication...). L'école ne constitue pas un espace autonome par rapport aux lois du "marché linguistiques".