Outils grammaticaux en vue de la production de texte : la désignation (Freesette)

De CRPE

Passer d'une grammaire portant sur la phrase à une centrée sur le texte n'est pas seulement un changement d'unité de travail, c'est aussi un changement de préoccupation. Dans l'analyse, il faut développer des notions originales qui permettent de rendre compte de l'organisation du texte.

A côté des unités présentées précédemment, on trouve des références à la notion d'énoncé qui renvoie directement au concept d'énonciation. Quand on dispose des deux termes (phrase et énoncé), la phrase est vue comme une unité de grammairien. Elle est définie à partir de caractéristiques syntaxiques. L'énoncé correspond à la réalisation dans un contexte particulier d'une phrase.

L'un des concepts clés de la linguistique textuelle est la notion de cohérence. La cohérence est liée à l'interprétation du texte que le lecteur peut fournir. Elle a donc à voir en particulier avec le sens, la conformité que l'univers met en place, les connaissances du lecteur.

Media: Exemple Planche de Schulz.jpg
L'aspect le plus frappant concerne l'absence des marques linguistiques de continuité entre les phrases successives. Aucun des noms apparus dans ce texte n'est repris un peu plus loin par un pronom. Il manque des relations anaphoriques. Chaque phrase introduit un nouvel élément (personnage, objet, événement...). Or, habituellement un élément nouveau est repris et change de statut (il va être traité comme un élément connu). Ce texte offre une structure atypique dans laquelle le lecteur est constamment en présence d'éléments inconnus. C'est la notion de progression thématique qui permet de traiter cet aspect.

Relations anaphoriques et Progression thématique sont les éléments qui contribuent le plus fortement à rendre un texte cohérent, à permettre au lecteur de percevoir une unité d'ensemble.

A l'inverse, un certain nombres de paramètres incitent le lecteur à voir dans cette suite un ensemble. Le 1er concerne les temps verbaux. Cette logique dans l'emploi des temps est respectée, mais elle tourne à vide et ne parvient pas à contrebalancer l'incohérence du contenu. Un deuxième facteur tient aux outils grammaticaux qui relient les phrases entre elles. Ici, ils sont réduits et ce sont principalement des adverbes ou des locutions temporelles qui, placés en début de phrase, établissent ce lien : soudain, tout à coup, pendant ce temps... Cette organisation du texte relève de la cohésion. La cohésion entre les phrases (ou cohésion interphrastique) peut passer par des outils grammaticaux comme les connecteurs. Les liens peuvent aussi reposer sur le lexique ou sur l'implicite. Dans le texte, la succession "Une porte claqua. La bonne cria." incite le lecteur à établir un lien (de cause à effet) entre ces deux événements.

  Anaphore : dans le langage non technique, on parle de reprise. L'anaphore désigne
  la relation établie entre divers segments qui désignent un même référent (ou objet de 
  discours). "Un jour un gros chien rencontra un petit chat. Ce dernier eut 
  peur. Il courut se cacher." Les segments "un petit chat", "ce dernier" et "il" 
  désignent le même référent. "Ce dernier" et "il" sont des anaphores du groupe initial 
  "un petit chat". On peut aussi les désigner comme des substituts.
  Antécédent : pas le même sens qu'en grammaire analytique. Dans la grammaire de 
  texte, on étend la notion. Tout groupe repris par un pronom sera considéré comme un 
  antécédent. "Un petit chat" est l'antécédent du pronom "il" dans "Un petit chat entre 
  dans la pièce. Il regarde autour de lui...".
  Hyperonyme : terme utilisé pour l'étude du lexique. Il désigne une relation
  d'inclusion. Ainsi "légume" est l'hyperonyme de "radis". La relation inverse 
  s'appelle l'hyponymie.


La bonne organisation d'un texte est donc en grande partie assurée par la façon dont sont désignés les divers référents. Un texte bien formé doit respecter deux tendances à priori opposées :

  • une règle de progression (nécessité d'apporter des infos nouvelles)
  • une règle de répétition (un référent identique doit être reconnu sous des dénominations plus ou moins variables)

Ces deux procédés conduisent à l'existence de chaînes de références qui permettent de suivre la façon dont va être désigné chaque objet de discours. Dans ces chaînes, on trouvera :

  • des désignations différentes pour un seul objet (éviter la monotonie)
  • des outils grammaticaux identiques (comme les pronoms) pour désigner des objets différents ("il" peut reprendre différents GN).


Inventaire des types de substituts

Pour classer des séquences diverses, la solution la plus fréquente est de distinguer entre :

  • les séquences lexicales
  • les outils grammaticaux, c'est-à-dire les pronoms et certains déterminants

La substitution grammaticale

L'outil le plus apte est le pronom.

  • Le pronom est le substitut d'un groupe nominal et non pas du seul nom. On peut faire commuter le pronom avec le GN, pas avec le nom.
  • Certains pronoms peuvent remplacer autre chose que des noms. Ils peuvent reprendre une proposition, un adjectif, voire un acte.
  • Certains pronoms ne sont pas forcément des substituts. Comme "je" pour Thomas dans ces phrases : "Thomas entra dans la pièce. 'Je suis grillé, je vais me faire tuer par mes parents'". "Je" désigne le locuteur qui s'exprime pendant l'échange et chacun des interlocuteurs dit "je" quand il prend la parole. "Je" renvoie à la réalité extralinguistique. Combettes et Tomassone (1988), distinguent les 3 cas suivants dans le fonctionnement des pronoms : 1/Désignateur et déictique. Déictique signifie que la forme linguistique n'est interprétable que par rapport à une situation d'énonciation : "je-tu-quelqu'un"... ; 2/Substituts : plusieurs, quelques-uns... ; 3/Soit l'un, soit l'autre : il, ceci... (Substitut : "Retenez moi bien cela" / Déictique : "Donne-moi ça").
  • Les substituts ne sont pas forcément des termes que la tradition identifie comme pronoms. D'autres éléments peuvent jouer ce rôle. Comme "ainsi" et "faire". Cette même capacité se retrouve pour des éléments comme "en" (considéré autrefois comme un adverbe, mais que les grammairiens contemporains incluent dans les pronoms) et "son".

Media: Tableau récapitulatif - substitution grammaticale.jpg

La substitution lexicale

La reprise peut être effectuée à l'aide d'expressions lexicales. Lorsqu'un GN doit reprendre un autre GN, il existe de nombreuses possibilités.

Media: Inventaire principaux cas de substitution lexicale.jpg

Reste un cas qui ne figure pas dans ce tableau : l'anaphore associative. Le lien est assuré par notre connaissance du monde. Ex : J'ai dû changer mon ordinateur portable. La batterie avait une autonomie insuffisante."

Dans certains cas, le même terme est répété. Cela peut être dû à des contraintes grammaticales, à des difficultés pour trouver des équivalences lexicales satisfaisantes, à des choix stylistiques. Il convient donc de s'interroger avant de condamner les répétitions dans un texte. Il faut tenir compte du type d'écrit, des possibilités de substitution qu'offre la langue, du contexte d'apparition, d'un souci volontaire d'insistance. Il y a maladresse quand le scripteur recourt à la répétition par défaut.

L'anaphore sous un angle sémantique

Quels liens sémantiques entre les différentes saisies du référent à travers ces désignations multiples ? La terminologie diffère selon que l'on traite des anaphores grammaticales et lexicales.

Media: Tableau de correspondance - Anaphores.jpg

La reprise est fidèle

  • Dans le cas d'une anaphore grammaticale, le pronom peut reprendre exactement l'ensemble de départ. Superposition des désignations. C'est le fonctionnement habituel des pronoms personnels de 3ème pers. (il,...) et des démonstratifs autonomes (celui-ci, cela...).
  • Dans le cas d'une reprise à travers des séquences lexicales, l'anaphore est fidèle quand les deux GN sont identiques, mais aussi quand le déterminant change : "Il était une fois un vieux roi qui avait une fille. Cette fille était jeune et jolie."

La reprise est infidèle

  • Anaphore grammaticale partielle quand le substitut ne représente pas le même ensemble d'individus, mais seulement une partie. C'est ainsi que fonctionnent de nombreux pronoms indéfinis (certains, d'autres...) et les numéraux.
  • Pour les anaphores lexicales : le groupe de reprise contient des éléments différents de son antécédent. La substitution n'apporte pas la même information. Pas de synonymie totale. Ex : la Bataille d'Essling / Cette vaste boucherie. Ces anaphores exigent parfois une certaine connaissance culturelle pour faire le lien.

La reprise est conceptuelle

  • Certains pronoms sont spécialisés dans ce type de relation. C'est le cas des possessifs et des démonstratifs (celui, celle... de/qui...) qui supposent des référents différents. Même concept, mais pas pour même référent : "Tes lunettes sont sur la table. Les miennes sont dans la voiture.".
  • Dans le cas des anaphores lexicales, le substitut reformule le contenu du contexte antérieur à l'aide d'une nominalisation : "Les habitants du village ont contesté les propose qu'on leur prêtait dans l'article. Ce rejet s'explique aisément.".

Fonctionnement textuel des substituts

La première mention

2 faits majeurs se dégagent dans les débuts d'histoire :

  • un groupe nominal est plus habituel qu'un pronom: plus naturel de désigner un nouveau référent à l'aide d'une expression lexicale qui apportera plus d'infos. La présence d'un pronom dès le début d'un texte est plus atypique. Dans les textes d'enfants, elle permet parfois d'identifier qu'il s'agit d'une suite d'histoire. Dans le domaine littérature, cela crèe un suspense, une attente du lecteur. Dans les productions d'enfants, on considère généralement que c'est l'ordre habituel (du lexique vers le pronom) qui est le plus attendu.
  • le déterminant indéfini (un) est plus habituel que le défini (le) : La première fois qu'un référent est utilisé dans un texte, l'entité est considérée comme inconnue. On la désigne comme rhème (point de vue de l'information). Pour indiquer ce statut, on recourt à un déterminant indéfini le plus souvent. Ils ont en effet pour fonction d'introduire un nouvel objet dans la mémoire discursive. L'utilisation du déterminant défini présente une info connue : on parle de thème. Le titre échappe à cette obligation et n'est pas traité comme la première mention du référent. Certaines tournures sont spécialisées dans la présentation de référents nouveaux. C'est le cas à l'oral de "il y a ", "qui", "c'est"... Ces sont des présentatifs. A l'écrit, c'est la formule "il était une fois" qui joue le même rôle. Elle est assez contraignante car elle doit être suivie d'un syntagme indéfini.

Les indices qui relient les différentes désignations

Sur le plan cognitif, mieux vaut éviter l'excès de désignations qui rendent le travail du lecteur plus complexe. C'est pourquoi, à côté des substitutions, on rencontre des reprises à l'identique, des répétitions, l'utilisation de pronoms. Le lien entre l'antécédent et le substitut repose sur divers indices :

  • Les marques morphologiques : la variation en genre des pronoms permet d'identifier tout de suite le référent : "Pierre a rencontré Sylvie. Elle a pris RV avec lui.". Comme il existe peu de pronoms pour reprendre un nombre infinis de GN, les critères morphologiques deviennent rapidement insuffisants. Pour lever les risques de confusion, on peut utiliser d'autres termes de reprise tels que "la première", des substitus lexicaux ou la reprise à l'identique.
  • Des critères syntaxiques : certaines tendances peuvent orinter la lecture d'un ex. dans lequel les indices morphologiques sont défaillants. L'usage habituel, c'est que le sujet est prioritaire. En vertu de la continuité thématique, la substitution porte alors plus facilement sur l'élément placé en position sujet qu'en position objet : "Pierre a rencontré Jacques alors il l'a invité". Kleiber parle de saillance. Le sujet est plus saillant donc plus prédisposé à être repris.
  • Des critères sémantiques : quand la morphologie ne permet pas d'identifier l'antécédent de façon évidente, le lecteur peut aussi s'appuyer sur sa connaissance du monde pour choisir l'entraînement le plus probable. On fait donc appel au sens. Mais limite dans les récits fantastiques...

La progression thématique

"Thème" et "Rhème" : pour rappel, ces termes indiquent le caractère ancien ou inédit de l'information véhiculée. Le thème correspond à l'information déjà acquise, connue et le rhème à l'information nouvelle. Les déterminants indéfinis sont des outils grammaticaux spécialisés pour indiquer une première mention (donc un rhème). L'ordre des mots peut aussi être pertinent en français : le thème occupe souvent la tête de l'énoncé. c'est pourquoi on établit une relation assez étroite entre le sujet et le thème.

3 cas de progression thématique sont retenus :

  • Progression à thème constant : un seul thème est utilisé dans toutes les phrases. Cela peut être sous des formes grammaticales différentes (GN ou pronom). On trouve fréquemment cette continuité thématique dans la description de personnages.
  • Progression à thème dérivé : le thème ne se répète pas d'une proposition à l'autre. Par conte, ils peuvent être prédictible, par ex. dans l'énumération des différentes parties d'une plante. On parle alors de progression à thème dérivé. Chacun des thèmes utilisés est un fragment d'un ensemble plus vaste.
  • Progression linéaire : la structure dans laquelle le rhème d'une phrase devient le thème de la phrase suivante est dénommée une progression linéaire. On rencontre cette organisation dans les explications ou dans certaines situations romanesques où le héros découvre l'espace en même temps que le lecteur. Ex : "L'escalier par où Halmalo et lui étaient descendus, à la suite des autres fugitifs, se terminait [...] par un étroit couloir (rhème) voûté. Ce couloir (thème) s'ouvrait sur une profonde fissure (rhème) naturelle du sol [...]. Cette fissure (thème)...".