Outils grammaticaux en vue de la production de texte : les formes verbales (Freesette)

De CRPE

Quand on souhaite commenter les verbes dans un texte, deux regards distincts peuvent être envisagés :

  • soit on s'intéresse à la façon dont sont fabriquées ces formes ;
  • soit l'intérêt porte sur les temps verbaux, la façon dont ils sont utilisés.


Comment sont fabriquées les formes verbales ?

Ou comment il convient de découper une forme verbale et quelles sont les unités que l'on peut identifier. Analyse importante car permettra d'identifier de façon précise les productions d'enfants en déterminant les unités absentes. Cela développe aussi l'aptitude à lire certaines formes.

Approche morphologique

Le commentaire sur la façon dont sont fabriquées les formes verbales peut se faire de deux façons au moins  :

  • sous un angle orthographique
  • sous un angle morphologique

Texte élève de CE2 : "Il été tune foid un renard qui fesait la fête est alors il appela la tortue il disa tortue tu pourrai venire a ma fête est la tortue disa oui [...] est la tortue vena chez le renard."

Pour une forme comme "été", l'approche orthograhique pourrait conduire aux commentaires suivants :

  • le morphogramme "t" a été omis par l'enfant
  • au lieu d'écrire le morphogramme "ai", l'enfant a privilégié une piste phonogrammique et a choisi "é" pour transcire le son [e].

Pour "disa" et "vena", les commentaires orthographiques sont difficiles. Ces formes ne sont pas censées exister, pourtant on reconnaît un verbe au passé simple. C'est ici que l'approche morphologique (= la description des formes) adopte un angle original. On peut scinder les verbes en morceaux et reconnaître certaines formes.

Différentes composantes d'une forme verbale

Une forme verbale peut être découpée en plusieurs morceaux.

Ex : "vivons"

  • viv- : morphème lexical ou base (ou radical)
  • -ons : morphème grammatical ou désinence ou flexion ou marque de personne. Important d'utiliser la désignation complète avec "de personne".

Il nous manque la marque du "temps" utilisé.

Découpage complet : ex : "vivrons" = viv- + -r- + ons
Chaque élément s'appelle un morphème. C'est la plus petite unité de sens. On doit pouvoir donner une valeur à chaque morceau identifié. Parfois, la marque du temps n'apparaît pas forcément dans le découpage, on le remplace par ∅.

Pour les verbes français, la formule est la suivante :

  Base + m. de temps + m. de personne
  Ex. : "vivons" = vi- + -∅- + ons

Il s'agit là d'un travail à partir de l'écrit. Si maintenant, on fait des découpages à partir de l'oral, on doit utiliser l'API et on se rend vite compte des variantes.

Media: comparaison morphèmes - boire à l'imparfait.jpg

Bases verbales

Il existe donc bien des décalages entre la forme écrite et la forme orale.

Media: tableau conjugaison - reprise des morphèmes de temps.jpg

Morphèmes de personne

Les réalisations sont très différentes, ce qui laisse entrevoir les difficultés des élèves et les erreurs que l'on trouve dans les textes.

Morphèmes de temps

Le classement des temps : les différentes composantes

Notion de mode

Les deux notions de modes et de temps ont été réexaminées par la linguistique, ce qui a conduit à d'importants remaniements. Pour la grammaire traditionnelle, le mode est un classement qui se fonde sur le sens. Il exprime une modalité : attitude du sujet parlant sur sa production, telles que des nuances de certitude, possibilité, ordre...).

Présentation habituelle :

  • Indicatif : présente le processus verbal comme réel
  • Subjonctif : présente un événement comme possible
  • Conditionnel : exprime l'éventualité
  • Impératif : expression de l'ordre ou conseil

Limites quand on confronte ces définitions à l'usage. On peut utiliser un futur pour exprimer une probabilité (s'il réussit au concours, il deviendra PE), un subjonctif pour une certitude (Je veux que tu saches ce qui t'attend)... etc. C'est pourquoi, on a développé une autre présentation des modes qui est fondée sur des critères formels. On s'appuie sur deux paramètres :

  • l'existence des personnes permet de distinguer entre les modes dits personnels et les modes impersonnels (qui n'ont pas de personne) ;
  • la subdivision en temps.

Media: Tableau présentation modes.jpg

Remarques :

  • Ici, le subj. n'est plus divisé en temps : 1/Le subj. imparfait et plus que parfait étant très peu usités, voire plus du tout, on ne les compte plus ; 2/ pourtant le subj. présent et passé sont toujours vivaces. Mais la différence entre les formes présent/passé du subj. n'est plus analysée comme une différence de temps. Idem pour le participe (passé/présent), l'impératif (présent, passé) et l'infinitif (présent, passé).
  • L'impératif est écarté car ce n'est pas un mode spécifique. Dans 90% des cas, il est forgé comme l'indicatif. L'originalité de l'impératif réside dans son orthographe : pour les verbes du 1er groupe, pas de "s" à la deuxième personne. ce "s" est rétabli en cas de liaison : parles-en, vas-y...
  • Le conditionnel est intégré dans l'indicatif.

Notion d'aspect

Cette notion est utilisée de façon régulière dans les descriptions linguistiques. L'aspect renvoie à une vision interne sur l'action exprimée par le verbe.
Ex : Pierre commence à entrer / Pierre marchait.

2 facteurs pour expliquer comment se déroule le procès (= action) exprimé par le verbe :

  • le sens du verbe permet d'opposer une action très resserer liée au sens de "entrer". On ne peut pas entrer pendant des heures... Le verbe "marcher" conduit à une vision très différente : l'action a la propriété de pouvoir s'étirer.
  • Des facteurs grammaticaux comme la locution "commencer à" conduisent à concevoir que l'action n'en est qu'à son début. L'imparfait de la seconde phrase apporte sa propre vision sur le déroulement de l'action : Pierre a commencé à marcher et ne s'est pas interrompu. L'action est en suspens.

Media: tableau oppositions aspects.jpg

L'aspect accompli/non accompli

C'est celui qui va nous permettre de résoudre le problème de l'absence de temps à l'impératif ou au subjonctif.
Ex : (1) Il faut que je finisse ce travail avant 15h / (2) Il faudrait que j'aie fini ce travail avant 15h

Il y a bien une opposition dans ces deux emplois, mais elle ne relève pas du temps (les 2 actions renvoient au futur) comme pourrait l'indiquer un tableau de conjugaison. Elle relève plutôt de l'aspect. Ce qui est différent entre les deux, c'est le regard que l'on porte sur le procès verbal. Dans un cas (1), l'action n'est pas vue comme achevée (aspect non accompli = non engagé ou en cours) ; dans l'autre (2), on se place au moment où l'on vient de terminer (aspect accompli).

Media: Aspects accomplis et non accomplis.jpg

L'aspect borné (global) / non borné (sécant)

2ème qui revêt une grande importance pour les enseignants. Il permet de comprendre et de mieux décrire la différence de vision qu'impose le choix de l'imparfait ou du passé simple même s'il n'est pas limité à ces deux temps.

Ex :
- Il vivait ici... : depuis 10 ans (possible) / pendant 10 ans (impossible)
- Il vécut ici... : depuis 10 ans (impossible) / pendant 10 ans (possible)
Ces différences tiennent à l'aspect lié à chaque temps. Le passé simple envisage le procès comme un tout dont il offre une vision globale. Il est donc compatible avec "pendant" qui traite la période de temps comme une totalité bien délimitée. L'imparfait montre le procés en cours d'accomplissement. Il s'associe donc sans difficulté avec une indication temporelle qui n'est pas limitée ou à la possibilité de se prolonger.

Autres cas

L'aspect peut aussi être indiqué par des locutions verbales (parfois appelées des auxiliaires d'aspects). Toute une gamme de ces locutions permet d'indiquer comment se situe l'avancée de l'action.

Media: Locutions verbales et aspects.jpg

L'aspect itératif (répétitif) peut être aussi indiqué par le sens du verbe ("sautiller"), la morphologie (préfixe "re") ou certains compléments (tous les soirs...).

Notion de temps

Plusieurs facteurs compliquent la notion de temps en français :

  • Le terme de temps possède deux sens que certaines langues distinguent. Il désigne des époques différentes et les temps de la conjugaison.
  • Les formes verbales combinent deux sortes d'informations que d'autres langues représentent morphologiquement. L'une est rattachée au procès indiqué par le verbe (aspect dont une partie seulement a une traduction morphologique spécifique) et l'autre relève des flexions que s'adjoint tout verbe, c'est le temps grammatical (qui est relié à une morphologie originale).
  • La façon dont les tableaux de conjugaison appellent les temps (tiroirs verbaux) est opaque car cette terminologie suit plusieurs logiques. Le temps passé est particulièrement trompeur. L'idéal serait de disposer d'une terminologie plus transparente qui reposerait sur un seul paramètre. On pourrait s'appuyer sur la morphologie. On aurait alors une opposition régulière entre formes simples et composées. Solution qui ne semble pas en voie de s'imposer.

L'aspect permet de remodeler assez fortement un tableau de conjugaison :

  • la notion de temps n'est maintenue que pour l'indicatif et disparaît pour tous les autres modes ;
  • le nombre de temps à l'indicatif est limité à 5 (formes simples traditionnelles + conditionnel présent) ;
  • les formes composées ne disparaissent pas mais elles ne sont plus traitées comme des temps différents.

L'emploi des temps

L'un des points importants dans la maîtrise de la langue est de savoir gérer les différents types de temps dans un environnement particulier. Les travaux contemporains (à partir de ceux de Benveniste, années 70) distinguent deux plans énonciatifs :

  • le système du récit
  • le système du discours

Media: Tableau Benveniste.pdf

Le travail de Benveniste conduit à mieux comprendre l'opposition entre passé composé et passé simple. Weinrich (années 80) va utiliser la notion de mise en relief qui permet d'approfondir la description du récit et de résoudre le problème de la différenciation imparfait / passé simple.

      Cadre (arrière-plan) = Imparfait
      Faits (premier plan) = Passé simple

Ces visions sont un peu réductrices, mais elles nous offrent un cadre qui rend bien plus clair l'emploi des temps verbaux. Chacun possédant son originalité.

Le système du récit (plan non embrayé)

Dans les textes narratifs, l'opposition centrale repose sur le couple imparfait/passé simple. Il faut y ajouter les formes composées (plus-que-parfait et passé antérieur), le conditionnel et dans certains cas le présent.
Ce qui domine dans ce ssytème, c'est la différenciation entre les procès d'arrière-plan et ceux de premier plan.

Dans le cas de l'opposition entre arrière-plan et premier plan

  • L'imparfait montre le procès en cours d'accomplissement :

On peut le représenter sous la forme d'un segment sans borne ------. Il contient souvent 2 parties : ce qui est réalisé et ce qui ne l'est pas encore. C'est un autre procès (souvent au passé simple) ou une indication temporelle qui pourra l'interrompre. C'est pourquoi il est souvent décrit comme exprimant des "actions longues", même si la formulation est maladroite. Le procès est vu dans son déroulement, de l'intérieur sans ses extrémités/limites.
L'imparfait intervient dans l'arrière-plan, la toile de fond. Il sert à exprimer les description, commentaires, il évoque des faits qui ne contribuent pas à faire progresser l'action

  • Le passé simple :

Il présente le procès comme un tout dont il offre une vision globale, nettement délimitée. Ce temps a tendance à individualiser le procès, ce qui le prédispose à être utilisé pour marquer des événements marquants, saillants, importants qui se détachent du fond exprimé par l'imparfait. Le passé simple s'accorde parfaitement avec des verbes perfectifs qui comportent de par leur sens une limitation du procès (atteindre)

  • Dans l'énonciation du récit, il y a aussi 2 emplois intéressants du présent :

(1) Le "présent historique" qui par la rupture qu'il produit permet de rendre contemporain l'événement décrit et crée une impression de participation plus forte du lecteur, de dramatisation. (2) Le "présent atemporel" de valeur générale ou gnomique pour exprimer des proverbes, définitions...

Les indications chronologiques

La dimension chronologique n'est pas centrale dans le système que forment l'imparfait et le passé simple. Toutefois, dans l'énonciation du récit, un certain nombre de moyens originaux permettent aux temps verbaux de participer à la chronologie :

  • la succession des verbes au passé simple".

Les procès sont bien délimités. Il est donc plus facile de traiter chaque verbe au passé simple comme un procès isolé. L'ordre de succession correspond à l'ordre d'apparition dans le texte.

  • Le recours a des formes composées qui marquent l'antériorité.

C'est le plus-que-parfait et passé antérieurs qui sont sollicités.

  • Le conditionnel qui joue un rôle de futur.

Il sert à présenter un événement comme postérieur à un événement passé.

  • L'imparfait qui connaît des emplois dits d'imparfait prospectif.

Il est utilisé pour marquer un événement ultérieur (il allait réussir beaucoup plus tard).

  • Le futur connaît un emploi de futur historique.

On le trouve dans l'énonciation de récit pour jouer du contraste, marquer une rupture (Hugo naquit en 1802. Il deviendra l'un des plus grands écrivains français.)

Media: Tableau récapitulatif - Enonciation du récit.jpg

Le système du discours (plan embrayé)

Le temps de base est le présent. Dans l'énonciation de discours, les temps sont mis au service de la chronologie. Ils permettent d'ordonner des procès. C'est leur fonction principal. Cela explique que suivant les systèmes (récit / discours), les temps ne présentent pas les mêmes caractéristiques.

Imparfait :

  • Enonciation de récit = arrière-plan
  • Enonciation de discours = renvoie au passé

Présent :

  • Enonciation de récit = valeur générale atemporelle
  • Enonciation de discours = renvoie en priorité au moment de l'énonciation

Le présent

Temps du locuteur au moment où il parle. Il renvoie donc à la situation d'énonciation. C'est le temps le plus employé à l'oral. Forte valeur rhéotorique.
Le présent possède une extensibilité assez grande. L'emploi d'un complément circonstanciel de temps permet à l'intervalle de temps d'occuper une portion temporelle très vaste : "Cette année, il présente le concours et dans 10 ans, il change de métier !".

Le présent d'habitude s'appuie sur cette même propriété de grande extensibilité du présent, que le complément circonstanciel facilité.

Le présent de vérité générale est présenté parfois comme un présent permanent. Il tire sa valeur de l'emploi de termes génériques. On parle aussi de valeur gnomique (pour les proverbes...) : "L'eau gèle à 0°.", "Tous les chemins mènent à Rome.".

Le passé composé

Il possède 3 valeurs principales :

  • Il peut être considéré comme un accompli du présent simple. Pas de décalage temporel, mais différence d'aspect. Ex : Je rentre / Je suis rentrée. Cette proximité avec le présent explique pourquoi il peut se substituer parfois à ce temps pour exprimer une vérité générale. Un autre emploi permet au passé composé d'évoquer un futur inéluctable : "J'ai fini dans 5 mn".
  • Il a une valeur d'antériorité du présent. Cette valeur se déclenche quand le passé composé est couplé avec un présent : "Quand j'ai corrigé mes copies, je prépare mes cours".
  • Il exprime un événement appartenant à l'époque passée. Le passé composé peut former un couple avec l'imparfait. Il s'agit alors d'une narration en énonciation de discours : "J'étais tourné vers la fenêtre quand il est entré".

Avec le passé composé, l'événement n'est pas totalement coupé du présent. D'où son emploi à l'oral. Il sert à marquer un lien avec l'énonciation. C'est le temps de celui qui relate en témoin, en participant.

Le futur

Il se présente sous deux formes : le futur simple est un futur morphologique ; le futur proche est dit périphrastique (on le forme avec le verbe aller).

Le futur est du temps imaginaire, prospectif. Le futur simple exprime ce qui est prévisible dans l'avenir déterminé ou non. Ce temps contient toujours une part d'incertitude car les événements n'ont pas encore eu lieu.

Le degré de certitude diminue progressivement quand on passe du présent au futur proche puis au futur simple :

  • Je reviens dans un instant
  • Je vais revenir dans un instant
  • Je reviendrai dans un instant ??

Le 2d ex est toujours relié au présent de la parole, de la situation d'énonciation. On accepte donc cette version, mais pas la 3ème.

Le présent simple possède plusieurs emplois modaux (valeurs qui s'ajoutent à l'expression) : engager une promesse (je viendrai) / exprimer un ordre (tes père et mère, tu honoreras).

Le futur antérieur

  • Il exprime le caractère accompli d'une action future (au 21è s., les hommes auront épuisé les ressources d'énergie fossile").
  • Dans le couplage avec le futur, il indique l'antériorité (il se dit que, lorsqu'il m'aura détruite, il les trouvera bien).
  • Il peut servir à exprimer le caractère probable d'un événement (...il m'aura droguée...)

Le conditionnel

Temps que l'on trouve beaucoup dans des emplois relationnels (= en relation avec un autre temps exprimé dans une autre proposition). Il sert là encore de futur dans le passé quand il est couplé avec un passé composé.

Dans les emplois où il est en concurrence avec le futur, il marque une probabilité moindre et apparaît comme un futur hypothétique. Le conditionnel, à la différence du futur, permet en outre de formuler des demandes polies.

La forme composée du conditionnel marque l'accompli. Elle est dans la même relation que le couple futur / futur antérieur.

Media: Résumé emploi des temps.jpg