Comment enseigner l'orthographe (Freesette)

De CRPE

Les 3 phases d'acquisition de l'écrit

3 phases partiellement ordonnées, mais susceptibles de zones de recouvrement :

La phase logographique

Association directe entre une forme visuelle concrète (des logos) et un sens. Pas de rapport graphie-phonie. La reconnaissance s'effectue à travers des indices :

  • venus du contexte (rouge et blanc pour Coke)
  • inhérents au mot lui-même, sa forme, sa longueur, sa silhouette. Ce premier lexique peut aller jusqu'à une 100 aine de mots.

La phase alphabétique

Exploitation systématique des correspondances graphies-phonies. Elle commence quand les enfants découvrent que l'écriture transcrit de l'oral, sous l'influence de plusieurs facteurs : maturité et expérience, régularité du système orthographique et pratique d'instruction explicite. La phase alphabétique commence vraiment quand à un graphème correspond un phonème. Il faut dépasser la phase syllabique, ce qui est très dur car la phase est perçue par les enfants mais pas le phonème.

La phase orthographique

Elle ne succède pas brusquement à la phase alphabétique : les deux fonctionnent parallèlement très longtemps. L'orthographe des enfants évolue très progressivement de la GS au CM2. Un changement qualitatif des traitements se passe plus nettement entre le CE1 et le CM1 : les catégories d'erreur changent. C'est à cette période que les enfants ont construit un lexique mental suffisamment étendu des principaux item réguliers et qu'ils commencent à développer des procédures pour les mots qu'ils ne connaissent pas. C'est la période où ils comprennent que tout n'est pas résolu par les correspondances graphies-phonies.

Une didactique en questions

Quelle démarche d'apprentissage adopter ?

Principes :

  • Ne pas privilégier l'aspect normatif de règles, sous-règles... Conception élitiste qui renvoie à la discrimination sociale. L'orthographe est dégagée de cette conception sur-normative (orthographe = indice du niveau culturel et intellectuel) pour la replacer dans un contexte purement linguistique. Il vaut mieux privilégier un autre pôle, celui de la communication qui peut être un projet scolaire. On ne met pas l'orthographe que pour soi. Le projet peut être orienté vers le récepteur et on associe l'orthographe à un effort d'écriture et de présentation. Nina Catach dit que la valeur de l'orthographe, c'est le pouvoir de socialisation.


  • Insister sur les régularités et les cohérences de la langue. Il faut parier sur la rationalité du système en procédant à des classification. On aide les élèves à développer des procédures productives : 1/les lois de position et l'environnement. On sait que seules certaines consonnes font l'objet d'un doublement en français et que celui-ci n'est possible quà certains endroits (jamais en début ni à la fin). Ces lois rationalisent le système et il est important de le faire découvrir aux enfants. 2/ l'analogie. On compare avec d'autres mots pour trouver une orthographe possible. 3/la morphologie dérivationnelle et la famille lexicale : constante sur les diminutifs en "eau" par ex., même famille lexicale... peuvent aider à orthographier un nouveau mot.


  • Privilégier la démarche de résolution de problèmes : il y a plusieurs phases dans cette démarche : 1/explicitation / formulation des problèmes rencontrés. 2/ formulation d'hypothèses de la part des élèves. Ils verbalisent leurs conceptions sur le fonctionnement de la langue. 3/constitution d'un corpus à partir des mots connus par les enfants auxquels s'ajoutent ceux puisés dans les écrits et ceux donnés par le maître. Le corpus doit être assez large pour être représentatif et mettre en valeur une régularité de la langue, un des aspects essentiels du fonctionnement. 4/Analyse de corpus (mots triés dans deux colonnes) par observation et manipulation qui doit faire émerger le problème et entrevoir quelques solutions. 5/ Etape de formalisation et de codification : élaboration collective de la règle sous forme de fiche-outil à réutiliser éventuellement lors des productions d'écrits. Possibilité de revenir sur cette fiche ultérieurement pour la compléter.

Liaison de l'orthographe avec les autres activités du français ?

Observation réfléchie de la langue = grammaire, conjugaison, orthographe, vocabulaire, mais elle ne peut être dissociée des activités de lecture, écriture et des moments consacrés à la littérature.

  • liaison orthographe-lecture : dès le CP, les enfants se heurtent aux difficultés de l'analyse liées aux irrégularités de l'orthographe française. Ces réalités ne doivent pas être pas ignorées dans l'analyse. Elles doivent être intégrées et elles-mêmes référées à des mots repères caractéristiques.
  • liaison entre orthographe et écriture : on parle souvent d'activités décrochées. Il s'agit de construire une activité d'orthographe à partir d'un problème posé au moment de la production d'écrit, problème traité donc avec un léger décalage dans le temps. Pendant cette activité, le problème est posé et résolu et une fiche outil est réalisée. L'orthographe est donc au service de l'écriture et non une fin en soi.

Il est nécessaire de mettre en place une progression cohérente.

Quelle progression adopter ?

  • Il faut commencer par le noyau phonogrammique qui correspond aux correspondances graphie-phonie. Nina Catach définit des priorités dans l'apprentissage des graphèmes. On commence par les 33 archigraphèmes de base, exigibles à la fin du cycle II. On ajoute progressivement les 70 graphèmes exigibles à la fin du cycle III dans lesquels elle distingue 45 graphèmes de base à étudier en priorité.
   Ex : "[o]". Pour transcrire ce son, un enfant de CE1 peut se contenter de 
   l'archigraphème O. Il ne se préoccupe pas forcément des autres graphies. A partir de 
   là, il doit accéder dans les 45 graphèmes de base au "o" (75% des occurrences), mais 
   aussi au "au" (21%). Catach ajoute aussi "eau" (2 ou 3%) car on le retrouve souvent 
   dans le vocabulaire familier de l'enfant (bateau, cadeau, château...). Il ne faut pas 
   être obnubilé par la notion de fréquence et savoir que celle de l'emploi est
   tout aussi importante. Les autres graphies, plus rares, relèvent du collège.


  • Dans un deuxième temps, on s'attache au noyau morphogrammique et on attire les élèves sur la fin des mots, sujette à variations. On complexifie au fur et à mesure, y compris dans le domaine des homophones qui ne posent pas tous le même degré de difficulté aux enfants. Ex : ces et ses posent le plus de difficultés.
  • Il faut s'appuyer sur les tables de fréquence. Les plus connues sont consignées dans l'Echelle Dubois-Buyse. Elle présente 3724 mots tirés de rédactions libres d'élèves de tous les niveaux et de textes d'adultes. On y trouve 43 échelons par ordre croissant de difficultés et par classes d'âge qui tiennent compte de la fréquence et de la difficulté orthographique. Les mots inclus de l'échelon 1 à 7 peuvent être acquis par 75% des élèves d'un CP, ceux de 8 à 11 par 75% des élèves d'un CE1... Cette échelle permet d'étalonner une dictée. Les échelons 24 à 43 sont réservés aux classes du collège.

Bon instrument de référence. Nina Catach et les chercheurs du groupe HESO ont actualisé cet instrument des années 40 en constituant des Listes Orthographiques de Base. Malgré tout, il faut connaître les limites de ces instruments. Ce sont des guides excellents pour graduer les exigences à chaque niveau d'apprentissage, mais ils ne doivent en aucun cas être considérés comme des programmes d'enseignement.

Quid de la dictée ?

Dans sa forme traditionnelle, elle est contestée par l'ensemble des didacticiens. Plus qu'un exercice d'apprentissage, il se révèle être un exercice de contrôle et d'évaluation.

La dictée traditionnelle n'est pas à exclure totalement, mais il faut lui donner sa place et sa fonction. Elle peut intervenir en fin de séquence, en évaluation sommative. Il faut songer dans ce cas à étalonner la dictée pour savoir si le lexique du texte correspond au niveau de la classe.

On peut aussi repenser l'exercice :

  • Dictées avec aides : les élèves peuvent consulter des documents, dictionnaires...
  • Dictées préparées : traitement collectif des difficultés du texte avant la dictée habituelle.
  • Reconstitution de textes ou imprégnation de texte : effacer au fur et à mesure une partie du texte au tableau pour le reconstituer.
  • Auto-dictée : texte préparé en classe, appris individuellement et restitué sous forme individuelle.
  • Dictée abrégée : préparation d'un texte long dont on ne donne finalement que quelques phrases.
  • Dictée copiée avec léger différé : dictée d'un texte vu quelques minutes auparavant.
  • Dictée dialoguée ou commentée avec le maître : lecture du texte par le maître avec des pauses possibles quand les élèves posent des questions. Toutes les questions peuvent être posées sauf la demande de la bonne réponse !
  • Dictée dialoguée entre enfants : les enfants se posent des questions entre eux.
  • Dictée à trous : finales de mots, gestion des accords... On peut aussi proposer des textes lacunaires. L'effort va donc porter sur l'orthographe, mais aussi sur la logique du récit.
  • Dictée à choix multiples : on propose plusieurs solutions.
  • Dictée négociée : Cf. fiche précédente. Les enfants sont en groupe et négocient la version finale de la dictée.

Et l'évaluation ?

  • Statut de l'erreur : on la reconsidère. On parle d'abord d'erreur et non de faute (connotation chrétienne : péché / culpabilité). Il y a des erreurs positives quand l'enfant parie sur la cohérence de la langue. Il est important que le maître joue un rôle dans la dynamique proposition-vérification-rectification. Il doit faire expliciter les erreurs pour aider l'élève à mieux les comprendre et à les rectifier. Il y a l'idée centrale de classification de ses erreurs : de quel domaine relèvent-elles ? C'est le prélude à une auto-correction.