L'acquisition du langage (Freesette)

De CRPE

Apprentissage dans et par la communication

Jean Bruner s'est particulièrement intéressé à l'acquisition du langage et la capacité pour un enfant de désigner les choses. Ces désignations ne naissent pas spontanément. Selon lui, elles sont intégrées dans des "scénarios" ou "formats", des petites scènes ludiques, ritualisées et structurées, entièrement créées par la mère et l'entourage. Ces scénarios sont de véritables lieux d'échanges. L'enfant apprend à parler en interagissant activement y compris dans les phases pré-linguistiques.

Le scénario de référence

  • la mère introduit entre elle et le bébé un objet qu'elle désigne avec des intonations montantes particulières : "Regarde la jolie poupée". Cette objet devient la cible de leur attention conjointe (concept important pour Bruner). Entre 8 et 10 mois, la mère après un regard prolongé avec l'enfant, se contente de regarder un objet un peu plus éloigné avec une expression du type "Oh regarde ! Qu'est-ce-que c'est ?". L'enfant suit le regard de sa mère pour trouver l'objet cible.
  • L'étape suivant intervient quant l'enfant montre du doigt ou du bras demi-tendu l'objet choisi. Le geste se ritualise, accompagné de vocalises ou de formes phonétiques plus ou moins stables. Son tour de parole est respecté.
  • Le scénario se complexifie au fur et à mesure des acquisitions linguistiques et communicationnelles de l'enfant. Sur l'objet désigné avec aisance par l'enfant, se grefferont plus tard des commentaires, d'autres questions : qu'est-ce qu'il fait ?
  • Ensuite la référence se portera sur des objets absents, sur ce qui se fait, sur ce qui se dit, sur le langage lui-même. C'est ainsi que l'enfant apprendra à catégoriser, à créer le monde entier à l'aide de mots et à s'inscrire culturellement dans une communauté linguistique.

Il y a d'autres scénarios que celui de référence. Notamment des scénarios de jeux (coucou, cache-cache, échange d'objets...), tout aussi ritualisés, où se réalisent les premières formes de communication. Sur une structure profonde immuable (apparition-disparition d'un objet, par ex.), se jouent des variations innombrables sur l'intonation, le lexique, les rôles qui peuvent permuter...

Le rôle de l'adulte est majeur car il crèe des cadres et s'adapte aux compétences de l'enfant, le sollicitant pour le faire accéder à des étapes supérieures. Bruner parle d'étayage. Concept qui peut largement être étendu au domaine scolaire et aux actions exercées par les maîtres.

Les étapes de la construction du langage

Vers l'acquisition des phonèmes

  • La perception : elle commence avant la naissance, dans le ventre maternel. Les trois derniers mois de la grossesse, le bébé in utero reçoit de nombreuses stimulations auditives et langagières. Ce qui explique que dès la naissance, il est capable de différencier la voix de sa mère des autres.
  • Phase de production : le nourrisson produit d'abord des cris, des pleurs, des sons végétatifs (toux, renvoi, déglutition). Ce sont des formes élémentaires et inorganisées d'activité vocale.
  • Babil : Fin du 2ème mois, en situation de confort. Phase qui coïncide avec le sourire et le proto-dialogue avec la mère. A la naissance, l'enfant a la possibilité d'apprendre n'importe quelle langue. Peu à peu l'entourage exerce son influence. Généralement dans les différentes langues étudiées, le a inaugure les voyelles, le p et le m les consonnes ce qui explique la production précoce et attendue par les parents de mama et papa...
  • Différenciation progressive des phonèmes très rapide après 18 mois. L'ordre d'acquisition varie d'un enfant à l'autre dans une même langue. Les voyelles nasales apparaissent plus tardivement. Pour les consonnes, [t],[k],[b],[d],[g] arrivent en premier. Vers trois ans et plus sont prononcés correctement [ʃ], [ʒ], [z] et [s]. Les enfants procèdent pendant longtemps à des simplifications ou des redoublements.

L'émergence de la référence

Avant le premier mot, vers 9 mois, le bébé commence à signifier par des sons. Début de la manifestation symbolique. Vers 10 mois, émission de formes sonores stables qui résulte de la répétition d'une même syllabe. Puis s'opère la différenciation du lexique : 20 mots au milieu de la seconde année. Le rythme s'accélère ensuite : 250 mots à 2 ans, 450 à 2 ans et demi, 900 à trois ans... Variantes individuelles. Entre 20 mois et 6 ans, le taux d'accroissement du vocabulaire est d'un mot et demi par jour.
Les formes phoniques produisent sont souvent approximatives. Le référent n'est pas toujours le même. Le mot est instable et il n'y a pas de catégorisation grammaticale des unités.

Vers la syntaxe

  • Mot-phrase : c'est un mot seul qui représente une phrase et que l'on interprète. L'enfant peut montrer le journal et dire papa. Il s'agit d'une mise en relation avec les deux.
  • Entre 18 et 24 mois apparaît l'énoncé de deux mots. Il y a d'abord une pause variable entre deux mots et quelques semaines plus tard, elle disparaît. C'est le début du langage combinatoire. L'énoncé à 3 mots et plus permet d'exprimer plusieurs relations, mais le style reste télégraphique. Il n'y a pas de flexion, peu de mots fonctionnels (articles, pronoms, adverbes...) et c'est un langage qui accompagne l'action immédiate et qui laisse une grande part à l'implicite.

Vers les acquisitions morphologiques

Entre 2 et 3 ans, l'enfant repère des régularités morphologiques. Véritable activité épilinguistique. Il devient grammairien et produit des formes par analogie. Vers 3 ans, l'activité métalinguistique devient intense et l'enfant commence à objectiver ces règles (féminin/masculin... etc). Après ce stade, on ne peut plus décrire linéairement les apprentissages car le langage explose et se complexifie.

Acquisition du "je" linguistique

L'accès au sujet linguistique suppose aussi plusieurs étapes.

  • Entre 6 et 18 mois, phase du miroir : une des premières étapes de la construction du sujet décrite par Lacan en 1949. L'enfant reconnaît son image et joue avec elle.
  • Mimesis : de 10 à 18 mois, l'activité vocale renaît, plus jubilatoire, mais orientée vers le mimesis. L'enfant a appris deux dimensions du langage : la nomination et la fonction réaliste.
  • Jeu du fort/da (ailleurs/ici) de Freud : l'enfant joue à reproduire la disparition et la réapparition de la mère symbolisé par le jeu avec un objet (bobine pour l'ex. de Freud). Il a acquis la capacité de symbolisation. Mais ce n'est pas encore "je". Le moi est construit pour autrui. "Je suis où l'on me dit".
  • 34-36 mois : le "je" surgit brutalement. C'est l'image du moi pour moi et plus seulement du moi pour autrui. Quelques jours après apparaît le "tu". Le sujet est alors construit. Je suis où je parle.


Que sais faire en général un enfant de 6 ans qui entre au CP ?

  • produire tous les sons, certains difficiles encore [ʃ],[ʒ],[s],[z].
  • son lexique est environ de 2500 mots.
  • les principales règles de formation des phrases complexes sont acquises ou en voie d'acquisition.
  • il accorde à peu près correctement les articles, adjectifs, pronoms, noms, sujets, verbes.
  • avec des adverbes et des prépositions, il situe un événement dans l'espace.
  • il maîtrise les différents types de phrase, mais certaines interrogations avec n"gation ou reprise du sujet lui posent encore problème. Il ne comprend ni ne construit la phrase déclarative à la voie passive.

Il lui faut encore progresser, mais à cet âge-là, il est prêt à accéder à une nouvelle étape : le langage écrit qui est un second système de symboles.